Interview Libération – 30 juillet 2022


Biodiversité

< retour>

Les fortes chaleurs donnent le bourdon aux abeilles

par Elena Do

Ces insectes ne sont pas épargnés par le changement climatique. En périodes de sécheresse, elles peinent à trouver le nectar essentiel à leur production de miel. Une menace qui suscite l’inquiétude de certains apiculteurs.

Lorsqu’il fait trop chaud, les abeilles passent beaucoup plus de temps à chercher de l’eau, ce qui limite le temps de butinage. (Romain Longieras/Hans Lucas. AFP)

 

«Lorsque la canicule est arrivée, ma récolte a été stoppée nette», se désole André-Claude Deblock, apiculteur en Champagne-Ardenne. Depuis treize ans, cet ancien professeur d’économie a fait de sa passion pour les abeilles son activité principale. Il fait partie des 70 847 apiculteurs déclarés en France en 2021. Il possède une cinquantaine de ruches, réparties autour de Reims, qui subissent de plein fouet la hausse des températures. «A la fin du printemps j’étais très content de la récolte, rapporte André-Claude Deblock. Mais depuis début juillet je n’ai plus rien.» Un constat partagé par Paul Gazin, apiculteur à Béziers (Hérault) : «En ce qui me concerne, la production a été très bonne au printemps mais très mauvaise cet été.» En cause : les fortes chaleurs et la sécheresse extrême qui touche la France.

Moins de nectar disponible

«Le climat conditionne la production de nectar par les fleurs», explique Yves Le Conte, directeur de l’unité de recherche abeilles et environnement à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement d’Avignon. A commencer par la pluie, qui «lave» le nectar des fleurs et limite les sorties des abeilles. «L’année dernière c’était une catastrophe à cause de la pluie, je n’ai fait que 20 % de mes récoltes de miel», estime André-Claude Deblock.

En période de sécheresse, les fleurs ne peuvent plus produire de nectar. Or, pour pouvoir fabriquer du miel, les abeilles ont besoin de ce précieux mélange d’eau et de sucres. Lorsqu’il fait trop chaud, ces hyménoptères ont tendance à moins partir en quête de nectar. «Elles vont passer beaucoup plus de temps à chercher de l’eau, ce qui va limiter le temps de butinage», signale Hélène Fray, codirectrice du pôle Occitanie de la Fédération nationale du réseau de développement apicole. Si le nectar se fait rare, c’est aussi le cas des fleurs : la déforestation, l’urbanisation et l’agriculture intensive sont autant de facteurs qui contribuent à laisser moins de place à la flore nécessaire à la production de miel.

La chaleur peut aussi affecter la quantité de pollen émise par certaines plantes, alors que leurs grains sont remplis de nutriments essentiels à la bonne santé des abeilles : «Quand elles ne trouvent pas assez de pollen, les abeilles vont être plus fragiles et ce sera plus difficile pour elles de passer l’hiver», résume le chercheur Yves Le Conte. La température extérieure a des conséquences sur le régime des abeilles et des répercussions sur leur milieu. Dans la ruche, la température du couvain – l’ensemble des nymphes, des larves et des œufs – doit être située aux alentours de 34 °C. «Quand il fait trop chaud, les abeilles vont chercher de l’eau et battent des ailes pour rafraîchir la ruche», détaille Yves Le Conte. Des battements qui peuvent se révéler insuffisants. «Si la température n’est pas assez basse, la cire de la ruche va fondre et les larves en maturation risquent de mourir», avance Hélène Fray.

«La floraison est complètement déréglée»

Le changement climatique bouleverse enfin les périodes de floraison à partir desquelles se basent les apiculteurs pour organiser leur collecte du miel. «Ils sont habitués à être réactifs aux aléas climatiques, mais sont de plus en plus contraints de s’adapter», remarque Hélène Fray. Ils doivent parfois revoir leur calendrier : «A la fin du mois de juillet, nous procédons à nos récoltes d’été avec plus d’un mois d’avance», affirme Yves Delaunay, vice-président de l’Union nationale de l’apiculture française. Apiculteur depuis plus de quarante ans en Corrèze, il a vu s’intensifier le bouleversement des saisons. «Aujourd’hui il n’y a presque plus d’hiver, ou alors il est entrecroisé de périodes printanières, remarque-t-il. La floraison est complètement déréglée.»

Selon leur territoire et leurs méthodes, les apiculteurs ne sont pas touchés de la même manière par les épisodes de chaleur. Certains pratiquent la transhumance, qui consiste à déplacer leurs ruches en été dans des endroits plus favorables aux abeilles. «J’emporte 120 de mes 150 colonies dans des zones plus élevées où on trouve plus d’humidité et des fleurs différentes», explique l’apiculteur Paul Gazin. «Cela représente un coût matériel mais aussi un investissement supplémentaire en temps de travail», remarque Yves Le Conte. La transhumance reste aussi un moyen pour les apiculteurs de diversifier leur production : «On ne fait pas les mêmes miels en montagne qu’en plaine», souligne Paul Gazin. Malgré ses précautions face aux vagues de chaleur, l’apiculteur héraultais prévoit un rendement en miel divisé par quatre par rapport à l’année précédente.

Les commentaires sont fermés.